Voici, enfin, avec un peu de retard, le dernier chapitre de cette galerie des présidents de la Ve République commencée le mois dernier. Après Charles de Gaulle, Alain Poher, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand, c'est donc Jacques Chirac, président de la République de 1995 à 2007, facilement réélu en 2002 face à Le Pen, qui clot la marche, sachant que pour le reste, on avisera dans cinq ans...
J'ai déjà eu l'occasion, à maintes reprises, de parler de Chirac, ces derniers mois, notamment dans les articles intitulés "Jacques Chirac : un dernier petit meurtre politique avant d'aller en taule ?", "Sarkozy, Le Pen et l'extrême-droite : une longue histoire...", "Jacques Chirac : sa véritable consigne pour l'élection présidentielle", "De la réforme des Institutions et de l'État", et "Passation des pouvoirs : l'Écoeurement Tranquille..." J'irais donc ici à l'essentiel...
Jacques Chirac, né à Paris - dans le Ve arrondissement - le 23 novembre 1932, fils d'un administrateur de sociétés, a fait ses études dans la capitale, aux lycées Carnot et Louis-le-Grand, avant d'entrer, en 1951, à l'Institut d'études politiques de Paris, dit "Sciences-Po", de remplir ses obligations militaires en Algérie, puis d'intégrer l'ÉNA - École Nationale d'Administration - en 1957. Marié en 1956 à Bernadette Chodron de Courcel, dont il aura deux filles - Laurence et Claude -, il devient auditeur à la Cour des comptes en 1959, puis conseiller référendaire à ladite Cour en 1965, et ne tarde guère à se lancer dans ce qui se révèlera être une très longue carrière politique.
Corrézien par ses origines familiales, Jacques Chirac est élu député de Corrèze en 1967, face notamment à Robert Mitterrand, frère du futur président François Mitterrand, éliminé dès le premier tour. Chirac sera constament réélu par la suite.
Georges Pompidou, alors Premier ministre du président Charles de Gaulle, offre alors à Chirac son premier poste au gouvernement avec celui de sous-secrétaire d'Etat à l'Emploi, auprès du ministre des Affaires sociales, pour remercier le nouveau député d'avoir arraché la 3e circonscription corrézienne à la gauche, avec quelques centaines de voix d'avance sur le candidat communiste qualifié pour le second tour. Bien qu'étant le plus jeune membre du quatrième gouvernement Pompidou, Chirac joue un rôle important dans les négociations avec les syndicats en mai 1968, qui ont abouti aux accords de Grenelle. Devenu secrétaire d'Etat au Budget puis ministre délégué chargé des relations avec le Parlement en 1971-1972, il est ministre de l'Agriculture et du Développement rural de 1972 à 1974, ce qui lui vaudra notamment une certaine popularité auprès des agriculteurs et une réputation de meilleur ministre de l'Agriculture de la Ve République. A la mort de Pompidou, il est ministre de l'Intérieur, et soutient Valéry Giscard d'Estaing (VGE) contre le candidat gaulliste Jacques Chaban-Delmas, lors de l'élection présidentielle de 1974 : il se verra récompensé de son ralliement en devenant Premier ministre de Giscard, ce qui ne l'empêchera pas de rompre avec VGE en démissionnant de son poste en 1976, en fondant le RPR (Rassemblement pour la République) crypto-gaulliste la même année - il en sera le président jusqu'en 1995 -, et en devenant maire de Paris en 1977. Candidat à l'élection présidentielle en 1981, éliminé au premier tour, il n'apporte pas de franc soutien à Giscard lors du second tour, le président sortant étant finalement battu par François Mitterrand. En 1986, Jacques Chirac devient, après la victoire de la droite aux élections législatives de cette année-là, Premier ministre de la première cohabitation, nommé par le président Mitterrand. Les deux années de gouvernement qui suivent sont particulièrement éprouvantes, Chirac entretenant des rapports souvent tendus avec le président socialiste. Ce dernier le vaincra au second tour de l'élection présidentielle de 1988, Chirac connaissant alors une très grande déception face à ce qui apparait comme une défaite électorale sévère, avec seulement 45,98% des voix pour sa candidature, contre 54,02% pour François Mitterrand. Réélu cependant, pour la troisième fois, maire de Paris en 1989, il joue un rôle important dans la victoire de la droite aux élections législatives de 1993. Trahi par son "ami de trente ans" Edouard Balladur, auquel il a laissé le poste de Premier ministre de la deuxième cohabitation, et trahi également, dès 1993, par le jeune Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa, qui avait été longtemps proche de lui et de sa famille avant de devenir un fervent balladurien, Jacques Chirac, qui reste président du RPR, se lance tout de même, en novembre 1994, dans une troisième course à l'Elysée, à l'occasion de l'élection présidentielle de 1995, sachant que Balladur est lui aussi engagé dans la course. Chirac craint un moment les possibles candidatures, à gauche, de Jacques Delors et de Bernard Tapie, mais il est assez vite rassuré lorsque Delors, ancien conseiller du Premier ministre Chaban-Delmas et ancien ministre du président Mitterrand annonce, lors d'une fameuse émission télévisée "Sept sur Sept" sur TF1, le 11 décembre, qu'il ne briguera pas la présidence de la République, tandis qu'un jugement, trois jours plus tard, met Tapie en liquidation judiciaire et le rend inéligible.
Au terme d'une campagne de premier tour marquée par la dénonciation, par Chirac, de la fameuse "fracture sociale", le 23 avril 1995, ledit Chirac arrive finalement en deuxième position, avec 20,84 % des voix, derrière le candidat socialiste Lionel Jospin (23,30 % des suffrages), tandis que Balladur, avec 18,54 % des voix, est éliminé. Chirac a-t-il bénéficié, en partie, de l'image sympathique alors véhiculée par la marionnette le représentant dans l'émission télévisée satirique "Les Guignols de l'Info" de Canal+ - marionnette qui a fait pendant des années la fortune de ladite émission ? Toujours est-il que lors du second tour, le 7 mai, Jacques Chirac est élu président de la République avec 52,64 % des suffrages, contre 47,36 % des voix pour Jospin : l'objectif qui était le sien depuis si longtemps est alors enfin atteint... Sa vengeance contre Balladur, Sarkozy, et les autres balladuriens du RPR, durera de longs mois : ils seront notamment exclus des deux gouvernements de droite de son premier mandat présidentiel, gouvernements constitués, de 1995 à 1997, avec Alain Juppé, fidèle chiraquien devenu Premier ministre. C'est de cette époque, marquée par les luttes intestines à droite, que date les fameux propos de Chirac concernant celui qui est aujourd'hui devenu son successeur à la présidence de la République :
(Jacques Chirac, cité par Ghislaine Ottenheimer, in Le Fiasco, Albin Michel, 1996)
Il semble que François Mitterrand, qui, le 17 mai 1995, quitte l'Elysée après la traditionnelle passation des pouvoirs, n'ait pas vu d'un mauvais oeil le fait que son successeur soit Jacques Chirac, son vieil adversaire des années 1980. Baltique, le labrador présidentiel de Mitterrand, qui a - chacun le sait - tout vu et tout su à l'époque, a fait part de ses sentiments sur les relations Chirac/Mitterrand dans ses mémoires d'outre-niche, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler (voir l'article "François Mitterrand et le mitterandisme") :
(BALTIQUE, labrador présidentiel, Aboitim 3, Pour solde de tout compte [1998], 1, in Aboitim la compil, Editions 1, 2001)
La suite de l'épopée chiraquienne, avec les gouvernements d'Alain Juppé (1995-1997), de Lionel Jospin (1997-2002), de Jean-Pierre Raffarin (2002-2005) et de Dominique Galouzeau de Villepin (2005-2007), est bien connue, et je me contenterai de noter qu'une fois arrivé à l'Elysée, Chirac a faite sienne cette formule de Henri Queuille (1884-1970), député de Corrèze, ministre et président du Conseil sous les IIIe et IVe Républiques : "Il n'est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout." Les années Chirac apparaissent en effet comme ayant été douze années d'immobilisme, seulement marquées par quelques évènements : la reprise des essais nucléaires en Polynésie française de 1995 à 1996 ; la suppression du service militaire obligatoire annoncée dès février 1996 ; l'échec de la dissolution chiraquienne de l'Assemblée Nationale en avril 1997 - qui a abouti à la victoire de la gauche plurielle aux élections législatives anticipées, et à une troisième cohabitation sous la Ve République, avec Lionel Jospin comme Premier ministre - ; l'adoption de la réforme du quinquennat en juin et septembre 2000 ; la réélection facile de Chirac à la plus haute charge de l'Etat en mai 2002, suite à la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle ; l'opposition - juste et prudente - du président Chirac à la désastreuse guerre d'Irak déclanchée par le président américain W. Bush en mars 2003 ; l'inscription d'une Charte de l'environnement dans la Constitution de la Ve République en février 2005 ; la victoire du "non" lors du référendum sur le Traité constitutionnel européen en mai 2005 ; et la création du Musée des civilisations et des arts premiers, appelé aujourd'hui Musée du Quai Branly, création qui a été annoncé par Chirac dès octobre 1996, le musée ayant été inauguré par lui l'année dernière, en juin 2006...
Voila. Que dire de plus ? J'ai déjà eu l'occasion de parler des affaires politico-financières pour lesquelles Chirac peut être à présent entendu, voire jugé - on peut toujours rêver -, depuis la fin de son immunité présidentielle, le 17 juin dernier : les dernières affaires judiciaires de Chirac, non encore enterrées, concernent essentiellement des affaires d'emplois fictifs payés par la Mairie de Paris, à l'époque où Chirac règnait sur l'Hôtel de Ville de la capitale. La Justice essayant encore, tant bien que mal, de suivre son cours, il est inutile de revenir en détail là-dessus, pour l'instant du moins... Mes lecteurs pourront toujours retrouver, en annexes à la fin d'un de mes précédents articles, intitulé "Jacques Chirac : un dernier petit meurtre politique avant d'aller en taule ?", la retranscription des propos savoureux que Chirac a tenu publiquement en 2000 et 2001 à propos de la fameuse Cassette Méry et des voyages payés en liquide du temps où il était maire de Paris. "Abracadabrantesque", "pschitt" : autant de formules chiraquiennes dont on ne se lasse pas... ;-)
Une anecdote me vient à l'esprit, au moment de terminer cet article : saviez-vous, chers lecteurs, que Chirac aurait pu devenir traducteur littéraire au lieu de faire de la politique ? Il a fait, il y a une dizaine d'années, une confidence à ce sujet, durant un visite d'Etat en Russie, du temps où Boris Eltsine en était encore le président russe, et à une époque où le président Chirac venait d'entrer en période de cohabitation avec Lionel Jospin, suite à sa tentative râtée de dissoudre l'Assemblée Nationale à son profit... En 2000, Jacques Michel Tondre, alors rédacteur en chef adjoint à l'Agence France Presse (AFP) et correspondant à l'Elysée depuis 1993, a écrit ceci, dans son livre "Jacques Chirac dans le texte" :
Au bout de deux mois, ce bon M. Belanovitch, auquel le chef de l'Etat est d'autant plus heureux de rendre hommage ce jour-là qu'il est natif de Saint-Pétersbourg, lui dit : « Tu sais, d'abord tu n'es pas doué, et ensuite cela ne sert à rien d'apprendre le sanscrit. Alors si tu veux vraiment apprendre quelque chose, tu ferais mieux d'apprendre la plus belle langue du monde, le russe. »
Voilà comment le futur président de la République s'initie à la littérature russe, « superbe s'il en est, servie par une langue extraordinaire, dans laquelle on trouve toutes les émotions et toutes les passions, toutes les intonations aussi, qui sont celles à la fois du coeur et de l'esprit ». A dix-neuf ans, il lit Pouchkine dans le texte. A vingt ans, il se risque à une traduction d'Eugène Onéguine, qu'il envoie à une douzaine de maisons d'édition. « La moitié m'avaient répondu que cela ne les intéressait pas, l'autre moitié ne m'avaient pas répondu », s'amuse-t-il, ajoutant qu'en 1974, devenu Premier ministre, il est subitement sollicité par les Presses universitaires de France qui viennent de découvrir « une extraordinaire traduction d'Eugène Onéguine ». L'éditeur voudrait la publier. « Ecoutez, répond Chirac, vous ne l'avez pas voulu quand j'avais vingt ans, vous ne l'aurez pas aujourd'hui parce que je suis Premier ministre. » « C'est comme cela que ma carrière dans le domaine de la traduction littéraire s'est interrompue », s'excuse-t-il !"
(TONDRE [Jacques Michel], Jacques Chirac dans le texte, Paris, Editions Ramsay, 2000, "Autoportrait")
Chirac, traducteur de Pouchkine... On en apprend tous les jours, n'est-ce-pas ? ;-)
Cordialement, :-)
Hyarion, le démocrate anarcho-monarchiste.