On me dit qu'il faudrait que je remette un peu de débat sur ce blog... Soit. Puisque la campagne des élections législatives est ennuyeuse au possible, je vous propose une galerie des présidents de la Ve République française, qui, je l'espère, pourra être de nature à vous faire réagir, chers lecteurs. :-)
A tout seigneur, tout honneur, comme on dit : commençons par le premier président de notre Ve République bientôt cinquantenaire... Commençons par Charles de Gaulle, né le 22 novembre 1890 à Lille (Nord), mort le 9 novembre 1970 à Colombey-les-Deux-Églises (Haute-Marne), président élu le 21 décembre 1958 au suffrage universel indirect, et réélu le 19 décembre 1965 au suffrage universel direct.
Sa vie fut digne d'un roman épique. Militaire de carrière, issue d'une famille catholique et patriote, fils d'Henri de Gaulle, professeur de lettres et d'histoire se disant "monarchiste de regret" tout en exprimant des opinions dreyfusardes, plutôt rares dans son milieu, au moment de l'affaire Dreyfus, Charles de Gaulle fut un officier combattant de la Première Guerre Mondiale, avant d'être un officier anti-conformiste durant l'entre-deux-guerres, écrivant plusieurs ouvrages de réflexion politique et de stratégie militaire, dans lesquels il a notamment préconisé l'usage des blindés. Puis vint la Deuxième Guerre Mondiale... Général de brigade pendant la bataille de France en mai 1940, il devint, le mois suivant, sous-secrétaire d'Etat à la Défense nationale dans le cabinet Reynaud. Vint ensuite l'armistice, et le moment pour De Gaulle d'entrer dans l'histoire... Car avant d'être le créateur de la Ve République, le général de Gaulle est d'abord l'homme du 18 Juin.
En 1940, au moment où la France a connu la pire débâcle de toute son histoire, De Gaulle a refusé de se résigner à ce qui semblait inéluctable à la majorité des Français : il a refusé la défaite, l'asservissement humiliant de la nation, le régime collaborationniste et antisémite de Vichy, l'occupation nazie et fasciste du territoire national. Refusant l'armistice, il a lancé, depuis Londres, le 18 juin 1940, un appel à la résistance. Chef de la France Libre, il a crée le Comité français de libération nationale, en 1943 à Alger, qui devint le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF) en juin 1944, avant de s'installer dans Paris libéré en août 1944, sous la présidence de De Gaulle. Alors que les Alliés anglo-américains avaient envisagés de mettre en place, dès leur arrivée en France, un gouvernement militaire d'occupation chargé d'administrer les territoires libérés, De Gaulle, toujours soucieux de l'indépendance nationale et fort de l'appui des populations, a réussi à imposer, dès la Libération, l'autorité des représentants du Gouvernement Provisoire et la restauration de la légalité républicaine. Il a donné le droit de vote aux femmes, permis à la France de siéger au Conseil de sécurité de l'ONU et engagé une politique économique et sociale novatrice (avec l'instauration de la Sécurité Sociale notamment), avant de démissionner en janvier 1946, faute de pouvoir s'entendre avec l'Assemblée Constituante.
Après une traversée du désert, il a été rappelé au pouvoir, à la faveur de la crise algérienne, en mai 1958, et il fit approuver par référendum, le 28 septembre 1958, une nouvelle Constitution fondant la Ve République, qui est encore la notre aujourd'hui. Elu premier président de la nouvelle république le 21 décembre par un collège électoral de 83 000 notables, il entra en fonction le 8 janvier 1959. Il pratiqua une politique étrangère originale, basée sur une indépendance nationale s'appuyant notamment sur une Europe économique, la réconciliation franco-allemande, et une défense nucléaire française. Il révisa la Constitution en 1962 pour instituer l'élection du président de la République au suffrage universel direct, faisant adopter la révision par référendum le 28 octobre 1962. Puis il y eu l'élection présidentielle de décembre 1965, gagnée par Charles de Gaulle contre François Mitterrand, au second tour ; le retrait de la France de l'OTAN en 1966 ; les élections législatives de 1967, remportées d'un siège par le général de Gaulle grâce aux Républicains Indépendants de Valéry Giscard d'Estaing, les évènements des mois de mai et juin 1968, qui ont ébranlé le régime sans pour autant le renverser ; et enfin, le départ-démission de De Gaulle, le 28 avril 1969, après l'échec du "référendum-question de confiance" du 27 avril.
Je me souviens qu'à l'époque où j'ai encore jeune collégien - c'était il y a plus de dix ans maintenant -, on m'avait demandé d'écrire une rédaction en classe, sur le thème "Quel personnage auriez-vous aimé être"... Après avoir un peu réfléchi, j'avais choisi Charles de Gaulle, simplement, sans avoir subi l'influence de quiconque. Je me souviens que ma rédaction, dans laquelle j'avais cité de mémoire des dates et évènements historiques, avait été alors assez remarquée, et dans la mesure où je l'avais rédigé en classe sans préparation, ma professeure de français de l'époque n'avait pu que me donner une bonne note. Par timidité et par soucis de ne pas me mettre trop en avant, ni d'être stupidement étiqueté, j'avais préféré dire à mes camarades qui me demandaient pourquoi j'avais choisi De Gaulle, que j'aurai pu écrire aussi bien quelque-chose sur n'importe quel autre personnage, mais, en réalité, je n'aurai pu en choisir aucun autre, car Charles de Gaulle m'apparaissait déjà à l'époque comme un modèle, tant sur le plan historique que politique. Sa solitude face à son destin, sa volonté, son courage, sa droiture, son sens de l'honneur et du devoir, étaient déjà exemplaires pour moi, à l'époque, et bien entendu le sont encore aujourd'hui.
Je ne suis pas de droite, et ne le serai jamais. Dès lors, pourquoi éprouver un tel respect, une telle admiration, pour De Gaulle ? Parce que celui-ci incarne, aujourd'hui comme hier, bien autre chose que la droite. Charles de Gaulle méprisait les partis politiques, et ne manquait pas d'éprouver de la défiance à l'égard d'une droite qui, certes, le soutenait, mais qui ne l'aimait pas et qui le lui fit d'ailleurs bien sentir en 1969. En juin 1968, déjà, De Gaulle savait que la victoire massive des gaullistes aux élections législatives n'était pas la sienne, bien qu'elle fut remportée en son nom. En 1969, ceux qui avaient quelque intérêt à ce qu'il parte se sont objectivement joints à ses ennemis pour le pousser vers la sortie. Il est vrai que De Gaulle avait un projet innovant, prévoyant l’introduction des salariés et des syndicats dans les conseils de gestion des entreprises : cela était forcément de nature à mobiliser contre lui aussi bien la droite amoureuse de l'argent qu'une gauche qui, à l'évidence, ne se sentait pas vraiment obligée de soutenir un tel projet... Finalement, c'est sur un autre projet - celui de la régionalisation et de la réforme du Sénat - que De Gaulle se vit signifier son renvoi, avec la victoire du "non" au référendum du 27 avril 1969. Constitutionnellement parlant, il n'était pas obligé de partir, mais étant fidèle à ses principes, il a fait ce n'importe-quel homme d'Etat responsable aurait fait sa place (et que Jacques Chirac aura été, évidemment, incapable de faire, bien que les occasions n'aient pas manqué) : il a démissionné. Jusqu'au bout, De Gaulle aura été exemplaire.
Ainsi, je l'avoue bien volontiers, j'aimerai que la France soit dirigé par un homme - ou une femme -de la trempe de De Gaulle... Avec Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa, chacun l'aura compris, on est vraiment très loin du compte...
Pourtant, durant la dernière campagne électorale présidentielle, l'actuel chef de l'Etat n'a pas ménagé sa peine pour essayer de s'inscrire dans la lignée de De Gaulle. Sarkozy, le candidat de l'argent, le partisan d'une "autonomie" de la France - plutôt que d'une indépendance - à l'égard des Etats-Unis d'Amérique, s'est senti obligé d'aller se recueillir sur la tombe du général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises, le 16 avril dernier, à six jours du premier tour de l'élection présidentielle. Erik Emptaz, dans le Canard Enchaîné, avait alors plus ou moins résumé l'état d'esprit qui est encore le mien aujourd'hui vis-à-vis de cet "évènement" :
Sans doute est-ce parce que le gaullisme doit relever de l'acquis plutôt que l'inné. Si Sarko n'a pas le gène du Général, il coifferait volontiers son képi, fût-il trop grand pour lui. Car, il l'a répété, il aime ce "symbole de l'espérance qui espérait encore et a fait espérer des millions de gens". Et, même s'il ne reste pas tant de millions de gaullistes, Sarko agit quand il regarde vers de Gaulle au ciel comme il le fait en lorgnant vers son extrême droite : "Le Pen ne m'intéresse pas, son électorat, si." Il en va de même avec le gaullisme : "ses valeurs n'ont pas pris une ride", mais ce ne sont pas les rides qui intéressent Sarko, seulement les électeurs qui partagent encore ses valeurs.
Et, en ce sens, il n'a pas lésiné sur l'icône de Colombey, "témoignage d'une époque où la France ne doutait pas d'elle-même". Sarko, lui, ne doute de rien. Pour parler "à tous les Français sans exception, pour aimer la France, aimer chaque Français", une semaine il est Jaurès, Blum ou Guy Môquet, la suivante Maurras ou Le Pen. Et dans les derniers jours avant le premier tour, voilà de Gaulle au plus haut des cieux. Pour faire bonne mesure, il rajoute Jean-Paul II, homme "d'ouverture, de tolérance et de fermeté". D'obscurantisme aussi. Mais quand on ratisse large il ne faut pas finasser. Gaullisme et piété. Debout les morts, il faut aller voter !
[...] »
(Erik Emptaz, in Le Canard Enchaîné N°4512, 18 avril 2007)
De fait, Sarkozy l'a avoué lui-même : son pèlerinage à Colombey était une comédie...
En rentrant de Colombey-les-Deux-Églises, lundi soir [16 avril], Sarkozy a justifié devant ses lieutenants sa stratégie de fin de campagne :
"A quelques jours du premier tour, il ne faut pas avoir peur d'utiliser de grosses ficelles, comme je l'ai fait aujourd'hui en allant me recueillir sur la tombe de De Gaulle et en célébrant Jean-Paul II."
On ne le lui fait pas dire ! »
(Le Canard Enchaîné N°4512, 18 avril 2007)
Peut-on encore se prétendre gaulliste aujourd'hui ? En tant que mouvement politique, le gaullisme est probablement mort depuis longtemps, au plus tôt avec le général de Gaulle en 1970, au plus tard avec l'assassinat politique de Jacques Chaban-Delmas commis par Jacques Chirac en 1974... Une doctrine gaulliste aurait-elle malgré tout survécu ? Selon l'inénarable Charles Pasqua, le gaullisme existait déjà avant De Gaulle... alors pourquoi pas après ? Je n'ai pas d'avis définitif sur cette question... Le fait est, de toute façon, que le gaullisme est bien plus souvent instrumentalisé dans un but électoraliste qu'il n'est réellement appliqué dans l'action gouvernementale...
Reste, en tout cas, une "certaine idée de la France" que De Gaulle incarnait, et le souvenir de celui qui fut un homme d'Etat, un vrai, devenu une des grandes figures de l'histoire de notre pays : ce souvenir ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.
Cette évocation de Charles de Gaulle paraitra sans doute à certains quelque peu dithyrambique... Pourtant, je pourrai aussi avoir des choses à dire sur les défauts du personnage, qui n'en manquait pas. Mais quand je me penche sur les cas de ceux qui lui ont succédé à la présidence de la République, je me dis que quels qu'aient pu être les défauts de De Gaulle - son orgueil, ses préjugés sociaux propres à sa génération, etc. -, je les préfère, de loin, aux défauts de ses successeurs à l'Élysée... De Pompidou à Sarkozy, même pour ce qui est du revers de la médaille, aucun ne lui arrive à la cheville...
Cordialement, :-)
Hyarion, le démocrate anarcho-monarchiste, résolument anti-sarkozyste.