Ma foi, il faut bien que je m'y fasse à présent : non seulement je n'ai plus le temps ni les moyens d'alimenter régulièrement et substantiellement mon blog, mais il semble bien, également, à présent, que le coeur n'y soit plus vraiment... Du reste, une série d'articles, cela ne s'improvise pas. Compte tenu de ce contexte, l'évocation de l'ensemble des choses que j'ai vu à Paris et aux alentours en septembre dernier est donc reportée sine die. J'avais écrit, le mois dernier, que j'essaierai au moins d'évoquer mes visites du palais de l'Elysée et de l'Assemblée Nationale que j'ai pu effectuer à Paris, les 20 et 21 septembre derniers, à l'occasion des Journées du Patrimoine, mais finalement je préfère y renoncer, au moins pour le moment, car je ne veux pas faire du mauvais travail. C'est un peu dommage sans doute, mais c'est ainsi. La vérité, c'est que j'en ai marre. Marre d'écrire pour rien, ou si peu. Marre de passer autant de temps à la rédaction d'articles aussi vite oubliés qu'ils ont été lus. Marre de dépenser autant de pognon en connections Internet finalement stériles, vu le caractère vain de ce que je produit. J'en ai vraiment marre. La sociabilité a ses côtés positifs, mais elle a aussi ses contraintes, parfois difficiles à supporter. Même chose pour le fil de l'actualité : je commence à en avoir vraiment assez de lui courir après... Après avoir parlé de mes visites à l'Elysée et à l'Assemblée Nationale, il faudrait que je parle des nouvelles conneries dites et/ou faites par Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa, du Congrès du PS à Reims (en tant qu'adhérent du PS, bien obligé non ?), de l'élection présidentielle aux Etats-Unis d'Amérique (qui se terminera vraisemblablement par la victoire d'Obama, la défaite de McCain, et surtout - hélas ! - par la défaite de Cthulhu), de l'affaire DSK, des poupées vaudoues à l'effigie de Sarkozy, de la présidence française de l'Union Européenne, des conférences internationales pour sauver le monde de la crise financière avec Sarkozy dans le rôle du pseudo-sauveur, et de je-ne-sais-quoi d'autre... En vérité, ça n'a peut-être l'air de rien, comme ça, un article, mais en réalité, cela représente beaucoup de travail, quoique l'on en dise... Et aujourd'hui j'en ai marre. En juillet dernier, j'avais été contraint de mettre mon blog en hibernation. Quelque-chose me dit qu'il peut-être mieux valu qu'il le reste... Par ailleurs, non seulement j'en ai marre, mais en plus, j'ai de plus en plus vraiment envie de faire autre chose. J'avais déjà évoqué succintement en juillet dernier les autres projets dont je souhaitais m'occuper, mais dont je n'ai pas eu l'occasion de suffisement me consacrer. Il faudra bien, un de ces jours, que je me fasse violence, et que je me décide à réellement franchir le cap, et à arrêter de m'occuper autant d'un blog devenu, de toute façon, bien difficile à maintenir réveillé... En attendant, je n'oublie pas ma promesse de mettre en ligne, sur le présent blog, le compte-rendu de Dante sur ses visites des expositions de photographies organisées dans le cadre du Festival international de photojournalisme Visa pour l'Image, qui s'est déroulée cette année du 30 août au 14 septembre derniers, dans la ville que le génial peintre surréaliste Salvador Dalí considérait comme étant le centre de l'univers, à savoir Perpignan. Je reproduit donc ici ce compte-rendu in extenso, en le partageant en deux parties, en raison des contraintes techniques d'espace imposées par la plate-forme de blogs qui héberge le présent blog.
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« Monde…vaste monde…si tu t’appelais Raymonde »
(Extrait de la chanson Raymonde de Maxime Le Forestier)
par Dante
Le festival international de photojournalisme de Perpignan, Visa pour l’Image, fête ses 20 ans. L’édition 2008 s’est déroulée du 30 août au 14 septembre. N’ayant pu m’y rendre que pour un week-end, ce compte-rendu portera sur les expositions visualisées dans 5 lieux différents de la ville : Au Castillet, A la Poudrière, A la Caserne Gallieni, au couvent des Dominicains et au couvent des Minimes.
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« Elevés dans le calme et la retraite et le repos / On nous jette tout à coup dans le monde / Cent mille vagues nous baignent / Tout nous sollicite, bien des choses nous plaisent / Bien d’autres nous chagrinent, et d’heure en heure / Un peu troublée, notre âme chancelle / Nous éprouvons des sensations et ce que nous avons senti / Le tourbillon varié du monde l’emporte loin de nous dans ses flots[1] ». Ces vers de Goethe résument l’impression que procure le parcours de l’édition 2008 de Visa pour l’Image. Des images fortes s’entrechoquent, en noir et blanc ou en couleur, sans misérabilisme, redonnant au contraire sa pleine dignité aux êtres qui y sont représentés. A travers des reportages qui nous immergent dans notre actualité, le monde se devine, le monde interroge, le monde se dérobe, le monde se perd et se trouve à la fois. Dans l’instantané le plus cru et le plus dur se révèlent les dérives, l’impuissance, la misère qui ne dit pas son nom, l’innocence assassinée, la cruauté perpétuée, la fragilité de l’espoir pourtant présent. A travers chaque photo se devine la nécessité de montrer, de dire, de crier, afin de transformer le regard en action.
Le présent compte-rendu s’attachera à résumer en quelques lignes le sujet de chaque reportage en agrémentant chacun d’un commentaire plus détaillé. Afin de centrer le compte-rendu sur l’examen des reportages, je reprendrais en matière de présentation de chaque sujet le résumé qui en a été établi sur la plaquette du festival et que l’on peut retrouver sur le site de Visa pour l’Image : http://www.visapourlimage.com/festival.do . A présent, entrons plus avant dans le cœur du festival…
Le pouvoir évocateur et émotionnel de la photo de presse n'en fait pas un document comme les autres. D'où ces dernières années, le refus de toute "esthétique", de tout affectif, chez nombre de photojournalistes, entendant résolument s'éloigner de "l'humanisme" des années d'après-guerre. Mais même dans le plus strict "style documentaire", le photographe se doit de construire son sujet. Sans la construction par l'œil du photographe, on "rapporterait" sans donner à comprendre. Et parfois, sans cette « esthétique », certaines réalités trop brutales ne pourraient être montrées. Le photojournaliste, qu'il touche à la détresse du RMIste, l'absurdité de la guerre ou la brutalité de l'enfance, se retrouve frontalement face à l'événement. Il doit tout à la fois être au plus près et s'effacer. Donner à voir et disparaître. Donner à toucher et garder ses distances. Veiller à ne pas se faire happer. Les images restent sur la rétine. Les histoires dans le cœur et le cerveau. Personne n'en sort indemne.
Cette rétrospective de 20 ans d’actualité à travers quelques instantanés de l’AFP est saisissante. La photographie y traverse deux décennies d’un passé intensément présent et nous rend cet hier immédiat et tragique. Immédiat dans le sens où l’instantanée capte le surgissement de l’événement. Tragique dans la perspective où l’émotion s’y cache et s’y révèle en même temps.
Axelle DE RUSSE - Chine, le retour des concubines
[ Photo : Scène d’attente d’une concubine tombée dans la prostitution ]
Longtemps, en Chine, le statut d'un homme s'est mesuré au nombre de ses femmes : épouses et concubines. En 1949, les communistes ont condamné la pratique, signe pour eux de décadence bourgeoise. Mais aujourd'hui, après deux décennies d'ouverture économique, on assiste à un retour des concubines. En chinois, elles sont appelées "ernai", ce qui signifie "deuxième femme". Axelle de Russé raconte, dans la Chine du troisième millénaire, l'histoire intime et taboue de ces jeunes filles prisonnières de leur cage dorée.
Axelle de Russé a été lauréate en 2007 du Prix Canon de la Femme Photojournaliste décerné par l’AFJ et soutenu par le Figaro Magazine. Et ce photoreportage ne trahit pas le mérite de ce prix.
Axelle de Russé suit dans ce reportage la vie de trois femmes chinoises, chacune entretenues par un homme riche déjà marié. La pratique a été interdite par les communistes mais avec le boom économique de ces dernières années, la pratique est redevenue réelle bien que toujours illégale. Les concubines, interdites en 1949 après l’arrivée au pouvoir de Mao Zedong sont réapparues à la faveur de l’ouverture économique. Pour un homme d’affaire de la nouvelle Chine, avoir une concubine est un signe de réussite tout autant que de posséder une belle voiture. Les trois femmes suivent pourtant des trajectoires différentes qui oscillent entre l’émancipation, la réussite sociale et la prison dorée.
Axelle de Russé met aussi en avant la nouvelle géographie qui se dessine sous l’impulsion et l’ampleur du phénomène. Des villages de concubines naissent en province tandis que les villes connaissent des quartiers de concubines. Certains espaces urbains, comme Shenzhen, sont réputées pour être des « villes à concubines ».
Les photos traitent aussi des problèmes collatéraux au phénomène. La multiplication de nombreux enfants illégitimes, non reconnus par leurs pères et ne possédant par conséquent ni papier ni identité, est préoccupante. La population civile s’est organisée à travers des associations. Ainsi sont nées l’Alliance Contre les Concubines de la République Populaire de Chine (ACCRPC) qui regroupe les épouses trompées, et une organisation clandestine qui tient des réunions d’informations sur les droits des femmes. Les épouses trompées viennent rapidement gonfler l’effectif des détectives privés qui s’est considérablement accru. Certaines détectives sont surnommés Ernaï Shashou (tueuse de concubines). Bien souvent, ces enquêtes échouent pour demander le divorce : Une épouse ne peut rien contre un mari juge ou un membre du Parti Communiste Chinois.
A travers un sujet méconnu et des photographies remarquables tant sur la forme que dans leurs structures, Axelle de Russé dresse le portrait de femmes confrontées à des structures dont elles subissent les rouages et les jeux de hiérarchie. Certaines tirent leurs épingles du jeu grâce à la fortune d’un hasard. D’autres se résignent à la prostitution après l’échec d’une tentative d’émancipation. Axelle de Russé livre ici bien plus qu’un reportage. Véritable témoignage des permanences et des violences quotidiennes de la Chine actuelle, ce photoreportage explore une coulisse d’une puissance contemporaine majeure. Explorons à présent une autre coulisse avec ces récits des bords du fleuve jaune…
Philip BLENKINSOP –
Récits des bords du fleuve jaune (Juin 2008)
[ Photo : Prise de vue de Linfen depuis un train ]
Philip Blenkinsop a pris le train qui roule vers le nord en partance de la ville minière de Linfen, dans la province de Shanxi, en Chine. S'il a choisi pour destination les localités meurtries par l'industrie, aux abords du fleuve, ce n'est pas pour les condamner, mais pour témoigner de la force de caractère des populations qui y vivent.
Ce carnet de route le conduit ensuite à Lanzhou, sur le Fleuve Jaune, pour le remonter vers le nord en traversant la Ningxia Huizu Zizhiqu et parvenir en Mongolie intérieure.
Un voyage très personnel, sans contraintes journalistiques.
Philip Blenkinsop a reçu cette année le Visa d’Or catégorie « News » pour son reportage sur le séisme en chine en mai 2008.
Le reportage de Philip Blenkinsop met en scène la chine contemporaine qui s’industrialise intensément. Autour de grandes villes de la province de Shanxi, de véritables ceintures industrielles se développent avec les conséquences environnementales que cela impliquent. Si la nécessité industrielle se fait sentir dans une puissance en développement et dans un contexte de mondialisation accrue, certaines villes ont dû cesser leurs activités industrielles le temps des J.O, tant elles produisaient de gaz à effet de serre. Les photographies en noir et blanc insistent aussi bien sur cette nécessité que sur son impact environnemental, montrant ainsi l’ambigüité d’un développement.
Philip Blenkinsop présente des photographies sur les phénomènes d’intoxication néfaste pour la consommation d’eau. Les puits pollués prolifèrent et dégradent considérablement les conditions de vie. Chaque pan de la vie quotidienne est passé au crible de ce renouveau et de cette dégradation. Une photographie révèle des ouvriers transportant le charbon d’une mine située prés du barrage de Sanmenxia tandis qu’une autre présente le parcours des tolajis (taxis à 3 roues) dans les rues de Xiang Ling. D’autres photographies, encore, détaillent le recyclage rudimentaire des déchets à Alashan ou la construction d’un port flottant sur le fleuve jaune. Philip Blenkinsop donne ainsi une image contrastée, dynamique et tragique, d’un espace en mutation où chaque pas vers le développement comprend de multiples implications.
Jan GRARUP –
Le Génocide étouffé du Darfour et du Tchad
[ Photo : Arrivées de réfugiés dans un camps ]
A quoi ressemble le massacre d'une population entière? Comment justifier, dans les camps de réfugiés du Darfour, face au traumatisme des femmes soudanaises aux enfants mal nourris, la nuance entre « actes de génocide » et génocide à proprement parler ?
Depuis 2003, le conflit au Darfour et au Tchad a fait plus de 200 000 morts (selon certaines sources) et provoqué le départ de quelque 2,5 millions de personnes fuyant les raids meurtriers des janjaweed, milices arabes du Soudan qui opèrent de part et d'autre de la frontière.
Jan Grarup donne dès les premières images et les premiers commentaires la parole à Wangari Maathai, écologiste kenyan et lauréat du Prix Nobel de la Paix : « C’est, de la lorgnette d’un observateur extérieur, une simple guerre tribale, mais, de fait, il s’agit d’une lutte pour la maîtrise d’un environnement qui n’est plus en mesure de répondre aux besoins de ceux qui y vivent ». Replaçant ainsi le conflit dans toutes ses dimensions, le photoreportage livre des images en noir et blanc d’une rare puissance où folie et détresse réciproques mènent le jeu. Qu’elles montrent des enfants victimes de choléra et de malnutrition ou encore des camps de réfugiés, les photos de Jan Grarup s’attardent sur chaque élément du conflit, rappelant que ce dernier, comme au Rwanda en 1994, trouve ses origines dans les clivages ethniques qui ont déclenché la violence. La raison de ce clivage est aussi géographique puisque le Soudan se trouve à califourchon sur la frontière ethnique qui sépare les tribus de nomades arabes de l’Afrique du Nord des tribus noires de l’Afrique subsaharienne, tel que le peuple Four. Etymologiquement, le Darfour désigne la « terre des Fours ». Une autre cause des tensions repose sur les nouvelles exploitations pétrolières dont les bénéfices vont aux arabes de Khartoum, dépossédant ainsi les populations proches de cette ressource.
Mais les photos de Jan Grarup sont avant tout celles de paysages. Paysages désolés ou habités dans lesquels la présence des hommes écrit un panorama singulier. L’assèchement du cours d’eau Wadi explique aussi bien le conflit que la vision de réfugiés soudanais attendant une distribution de nourriture. L’image apparemment immobile du camp d’Iridimi ou de Kouroikoum traduit en réalité les déplacements massifs des populations sur les routes de Kerfi. Les villages sont en effet régulièrement attaqués par les milices Janjaweed. Ainsi, plus de 10 000 personnes sont déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Sur la route, les réfugiés courent aussi sous les balles des patrouilles tchadiennes à la recherche de miliciens Janjaweed soudanais et de rebelles tchadiens. Les réfugiés affluant des différents villages rasés et brûlés par les milices Janjaweed ne sont pas enregistrés par les agences humanitaires et ne reçoivent donc aucune aide, en dépit de l’adoption d’un Programme Alimentaire Mondial (PAM). Selon l’UNHCR, plus de 15 000 personnes souffrent de la faim mais les combats dans la zone empêchent les ONG de leur porter secours.
Les camps de réfugiés sont donc transformés en lieux de vie et de mort. On y attend une livraison d’eau, des soins devant le dispensaire de fortune et on y pratique un marché de bric et de broc où les objets sont souvent issus d’attaques et de raids. On y croise aussi des témoins comme Adulaye Idriss qui a essayé de sauver sa famille et son village prés de Koloy et qui s’est retrouvé captif des miliciens qui lui ont crevé les yeux. Mais sans doute l’image phare de ce photoreportage réside-t-elle dans cet instantané qui enveloppe de noir et de blanc une femme couchée dans un sol composé de terre, d’urine et de sang et qui, le regard vide comme presque éteint, allaite son enfant. L’instinct reste le seul guide de la survie quand chaque pas tâtonne dans l’incertitude. L’horizon ne peut devenir plus grand qu’un simple regard pour trouver refuge. La photographie de Jan Grarup nous parle de cette urgence. Urgence du regard mais aussi de l’action.
David Douglas DUNCAN – This is war !
[ Photo : Déploiement d’une troupe américaine ]
Il y a 20 ans, Duncan avait été l'un des premiers photographes que nous avions contactés pour exposer son travail remarquable sur la guerre de Corée... Pour les 20 ans de Visa pour l'Image, le grand DDD a enfin accepté notre invitation. Une immense leçon de photographie et de journalisme. Exposition réalisée grâce à l'aide du Harry Ransom Center - The University of Texas at Austin.
Dans la préface de son livre, This is war, David Douglas Duncan, qui a suivit ses camarades soldats, écrit : « Sans vous, sans les innombrables fragments de souvenirs, d’expériences et de peurs qui font de vous un être unique – et pourtant dans le même temps, vous rendent très semblable à tous les hommes et les femmes que vous côtoyez au quotidien – sans vous ce livre ne pourrait pas exister. Car vous êtes profondément impliqué dans cette histoire. Vous en êtes le protagoniste. Vous êtes l’homme qui a survécu et qui attend, debout devant son poste de secours rudimentaire dressé dans la vallée, d’apprendre si ses camarades sont encore en vie…ou s’ils sont morts ».
La démarche du reportage se révèle au fur et mesure des photos pour dépasser le champ du regard et traduire l’émotion. Peu à peu, le photoreportage sur la guerre de Corée tisse des similitudes avec le film Full Metal Jacket dans lequel Stanley Kubrick avait cherché à faire méditer sur une émotion et sur le processus même de la guerre. Il en résulte un corpus photographique en noir et blanc saisissant de vérité et imprégné d’un besoin de témoignage.
Göksin SIPAHIOGLU –
Les événements de Mai 68 à Paris
[ Photo : Des étudiants et des militants syndicaux occupent une salle de la Sorbonne ]
Avant d'avoir été le grand patron-fondateur de l'agence Sipa Press, Göksin Sipahioglu était photographe. L'intérêt particulier de ses images sur les événements de mai 68 réside dans la fraîcheur de son regard. Regard d'un journaliste étranger au microcosme parisien.
Le regard de Göksin Sipahioglu est riche de par la diversité des images qu’il a rapporté des événements de Mai 68 à Paris et de par les thèmes abordés. Les barricades sont certes présentes mais des photographies de la manifestation pro-gaullienne (qui avait rassemblé près de 1 million de personnes) également.
Le noir et blanc donne ici toute la couleur de cet événement. Des réunions d’étudiants à des affrontements de rue avec les policiers (remarquable photographie d’un policier seul face à des manifestants), chaque instant semble s’être immobilisé pour témoigner.
Pierre GONORD – A l’épreuve du portrait
Pierre Gonnord a débuté la photographie en autodidacte à l'adolescence en raison de sa fascination pour les grands maîtres du portrait en peinture et en photographie.
Depuis 2001 il a concentré sa recherche sur des personnages qui conservent une relation très forte avec le monde de l'apparence et plus récemment il s'est intéressé aux portraits de modèles issus de l'immigration ou de métissage des cultures. Après avoir mené un travail remarquable sur les gitans sévillans, il a reçu une commande du Ministère de la Culture et de la Communication pour rendre compte de la personnalité de la communauté gitane de Perpignan.
Tout comme les expositions centrées sur l’esthétique et l’art photographique, l’exposition de Pierre Gonord rend compte de la diversité du travail photo-journalistique. Ce regard permet de saisir les multiples possibilités de traiter une autre forme d’actualité et de saisir des tendances qui suscitent l’intérêt. Les communautés marginales sont aujourd’hui au cœur d’une réflexion autour de l’intégration et de l’identité culturelle : Comment cette distinction est aussi une affirmation de la singularité ? La mondialisation, loin d’être un moule de standardisation, semble offrir une nouvelle possibilité à l’affirmation identitaire de chaque habitant du monde. Cette identification se fait certes sur des codes largement diffusés mais elle traduit aussi un espace de réaffirmation communautaire. Les portraits de Pierre Gonord saisissent cette identité qui pratique pleinement son existence et cultive sa différence.
Brent STIRTON – Parc National Virunga (Congo)
[ Photo : Les habitants du parc Virunga pleurent la mort du chef gorille et ramènent sa dépouille au village pour lui rendre hommage ]
Le parc national des Virunga est le plus ancien du continent africain. Il abrite le gorille de montagne, espèce en voie de disparition. Dans cette région déchirée par la guerre, le parc des Virunga est la seule source de bois de feuillu susceptible de donner un charbon de bois de bonne qualité. Les producteurs de charbon de bois profitent de l'occupation rebelle pour mener leur commerce illégal en toute discrétion. La situation est d'autant plus compliquée que le parc est occupé par deux grandes factions rebelles : la CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple) du rebelle congolais, le général Laurent Nkunda, et leurs ennemis jurés, le FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda) Interhamwe, génocidaires Hutu qui résident dans les forêts des Virunga depuis leur expulsion après le génocide du Rwanda. Brent Stirton a reçu le Visa d’Or 2008 dans la rubrique « Magazine » pour ce photoreportage pour Newsweek et National Geographic.
Le 23 juillet 2007 s’est déroulé le plus important massacre de primates en voie de disparition depuis plus de 40 ans. Le chef gorille Senkekwe (photo ci-dessus), mâle de 240 kilos, a fait parti des victimes en voulant protéger son groupe. Ce massacre n’est pas anodin car il s’inscrit en lien avec l’industrie illégale de production de charbon de bois. La pègre locale a affirmé son pouvoir sur la zone à travers ce massacre. Les photos explorent différents espaces comme la zone de Bukima, le quartier général Rumangabo. La zone autour du volcan Nyiragongo, ancienne principale attraction touristique devenue aujourd’hui une poudrière abrite des fours pour cuire du charbon illégal. Le reportage aborde aussi le camp de réfugiés de Kibumba, dans la région de Goma, car le secteur du parc des gorilles est occupé par la faction rebelle du CNDP dirigé par le général congolais Laurent Nkunda et la faction FDLR. Les photos montrant les patrouilles de gardes forestiers au bord du lac Edouard mettent en perspective l’hostilité ambiante qui règne.
Saisissant ce massacre de primates dans un univers de chaos où chaque pas conduit vers toujours plus d’incertitude (comme le montre la photo de cette femme, de dos, qui part chercher du charbon illégalement et qui a 90% de chance d’être abattu à tout moment), Brent Stirton traduit en fait l’instabilité complète et terrifiante qui se déroule actuellement en République Démocratique du Congo. Réalisé en juillet 2007, ce photoreportage montre avec acuité les conséquences d’un désordre où l’existence y est réduite à l’état de survie. Ce que nous indique aussi le reportage suivant…
Cédric GERBEYAHE – Congo in Limbo
[ Photo : Le chef rebelle congolais Laurent Nkunda ]
En République Démocratique du Congo (RDC), une décennie de conflits armés a laissé un pays exsangue. Aujourd'hui encore, la population continue de souffrir au quotidien des conséquences du conflit, des maladies, de malnutrition et du sous-développement, mais aussi du fait des violences meurtrières qui se poursuivent. Le nombre total des déplacés est estimé aujourd'hui à plus de 800 000 personnes. Les accords de paix de janvier 2008 n'ont rien changé. Les civils sont toujours les premières victimes et les groupes armés ainsi que les militaires congolais continuent à exploiter illégalement les ressources naturelles et à se servir des profits engrangés pour alimenter le conflit.
Avec ce photoreportage de Cédric Gerbehaye, nous poursuivons l’exploration de la situation actuelle en République Démocratique du Congo. La photo ci-dessus représente Laurent Nkunda, chef rebelle congolais à la tête du CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple), dans son fief, les collines du Masisi. Les instantanés qu’a rapportés Cédric Gerbehaye traduisent une véritable ambiance chaotique. Les photos montrent par exemple des déplacés trouvant refuge, par exemple, au couvent de Fataki en Ituri. Leurs maisons ont en effet été brûlés suite aux combats entre le FNI (Front des Nations Intégrationnistes) et le FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo) dont les membres sont peu ou non payé et fonctionnent donc sur une économie de pillages. 80% des exactions commises sont le fait des militaires.
En 2007, 437 000 personnes ont dû fuir leurs villages à cause des combats, des viols, de l’enrôlement forcé d’enfants et d’exactions. A ce titre, les enfants-soldats qui sont désarmés et démobilisés perdent un statut et une identité. Dans ce chaos se déroule aussi les tensions hiérarchiques, la reconnaissance sociale et la perte instantanée de toute maîtrise sur son propre destin. Ainsi, des camps de fortune, comme celui de Bulengo près de Goma, servent de refuge. A cela s’ajoute le développement de ferveurs sectaires qui ont consacré la main mise de l’église adventiste. Quelques photographies de prière de masse du pasteur Sony Kafuta Rockman de l’Eglise de l’Armée de l’Eternel, au stade des martyrs à Kinshasa, traduisent la recherche de repères de tout un peuple qui opére chaque jour la tentative de la survie.
Enrico DAGNINO –
Violence post-électorale au Kenya
La violence des affrontements au Kenya oppose les partisans de Raïla Odinga, malheureux candidat de l'ethnie Luo à la présidentielle, à ceux du président réélu, Mwai Kibaki, accusé d'avoir « volé » un scrutin controversé et surtout des terres au profit des membres de sa tribu, celle des Kikuyus. Cette révolution n'avançait pas en brandissant des fleurs ou des écharpes, mais frayait sa route à coups de machette et de casse-tête. Les politiciens qui ont joué des vieilles rancœurs ethniques pour gagner leurs voix ont évidemment trouvé le moyen de se partager le gâteau. Les touristes reviennent et leurs tours operators ont retrouvé sans peine les chemins contournant la mer des taudis.
Ce reportage présente avant tout les origines de ces violences post-électorales. La misère de Nairobi, entourée des plus grands bidonvilles d’Afrique de l’Est, n’est pas étrangère à ces violences. A ce propos, Enrico Dagnino écrit : « Pas la moindre trace de goudrons, ni des 6% de croissance affichés en 2006 par l’Etat Kenyan sur ces murs vérolés, dans ces rues boueuses où s’agglutinent des millions de personnes qui survivent avec moins d’1 $/jour ». Les photographies mettent ainsi en scène les attaques et les incendies de biens Kikuyus par les Luos. Ces types de violences, qui se sont déroulés en réaction à l’élection présidentielle la plus contestée de l’histoire du Kenya, sont partis des bidonvilles de Nairobi.
Sans doute faut-il regretter, dans cette exposition au sujet intéressant, la présence d’une photographie numérique couleur qui ne donne aucune profondeur de champ ni aucune épaisseur. L’urgence du témoignage, fort utile, a peut-être primé.
[1] Extrait d’un poème de Goethe cité par ZWEIG Stefan, Le Monde d’hier, Bermann-Fischer, Verlag AB, Stockholm, 1944 (Edition utilisée : Paris, Belfond, 1993), p.15
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Nous interrompons ici le compte-rendu de Dante. La dernière partie de celui-ci fera l'objet d'un prochain article, très prochainement (probablement demain, en fait).
Cordialement, :-)
Hyarion.
P.S. : Votez Cthulhu (quand même).
(Illustrations : Détail du tableau Gala nue regardant la mer qui, à une distance de dix-huit [ou vingt] mètres, se transforme en portrait d'Abraham Lincoln (Hommage à Rothko) [Première version], huile sur papier photographique [1975-1976] par Salvador Dalí, Figueras, Teatre-Museu Dalí, Fundació Gala-Salvador Dalí ; Photographies illustrant le compte-rendu de Dante : ©DR)