De ce personnage historique, que j'ai beaucoup étudié durant mes études supérieures, j'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de parler, sur le présent blog. Au coeur de la nuit, j'y reviens une nouvelle fois - ce sera sans doute la dernière -, puisque le bicentenaire de la naissance du dernier Empereur des Français tombe aujourd'hui...
Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, j'ai consacré, durant mes années de Licence et de Master, mes travaux de recherche universitaires à la vie politique française sous le Second Empire de Napoléon III, travaux de recherche qui ont été motivés, à l'origine, par la lecture - fort indigeste - des Châtiments de Victor Hugo, qui me fut imposée en terminale, il y a presque dix ans de celà (le recueil des Châtiments de Victor Hugo ayant fait partie dans les lycées du programme de première pour l'épreuve anticipée du baccalauréat de français en 1998-1999). Travailler à partir des sources avec le plus d'honnêteté et de sérieux possible, loin des propagandes et des préjugés de tous ordres : c'est ce que je me suis efforcé alors de faire, dans le cadre de ses recherches, qui ont d'abord été motivées par une volonté d'écarter d'un revers de main toute la propagande des adorateurs de Victor Hugo et la grille de lecture systémique des adorateurs de Karl Marx, pour essayer, comme bien d'autres avant moi, d'approcher la vérité historique au plus près, avec tout le recul critique nécessaire. En cela, j'espère avoir apporté une modeste petite pierre à l'édifice de la recherche sur l'histoire politique française du XIXe siècle.
Certains, depuis l'année dernière, persuadés que Nicolas Sarkozy est, ni plus ni moins, un nouveau Louis-Napoléon Bonaparte, travaillent actuellement à le démontrer. Je leur souhaite bien du courage pour arriver au bout de leur entreprise aussi veine que stupide. Ils s'inquiètent de savoir, s'il s'avère qu'on leur donne raison, s'il existera aussi un nouveau Victor Hugo... Par ma barbe, pour faire quoi ? S'autoproclamer à nouveau "conscience universelle de l'humanité", comme Hugo l'a fait en son temps dans son pamphlet Napoléon le Petit ? Pour donner ainsi bonne conscience aux vertueux bien-pensants adorateurs de Hugo ? Pour donner de la valeur à leur combat pathétique, qu'ils s'imaginent mener comme si nous vivions il y a 150 ans ? Quelle naïveté... et quelle vanité, surtout... Heureusement que la plupart des gens s'en moquent... et l'indifférence plus ou moins générale, pour une fois, me parait bien utile pour contrecarrer les combats d'arrière-garde de cette bien-pensance dans laquelle je ne me reconnaitrait jamais... n'en déplaise à certains, qui continuent à réciter bêtement, à l'adresse des sarkozystes, des vers des Châtiments en ce croyant malins, ou pire, vertueux... Mais laissons donc tout cela de côté... Je suis si fatigué de dénoncer tous ces excès partisans, après toutes ces années... De toute façon, il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre... Que les historiens continuent leur travail : les chiens aboient, la caravane passe, comme on dit... Du reste, tout en écrivant cet article, j'écoute la musique de Vangelis composée pour le film Blade Runner, de Ridley Scott (1982) : cela aide à prendre singulièrement du recul vis-à-vis de toutes ces histoires triviales de mélanges entre politique, histoire, mémoire et propagande...
Pour ce bicentenaire de la naissance de Napoléon III, je vous propose des extraits d'un des quelques livres parus sur Napoléon III à l'occasion de l'évènement : il s'agit de Napoléon III. Un Saint Simon à cheval de Éric Anceau, paru tout récemment, le mois dernier, aux éditions Tallandier. Éric Anceau, enseignant à l'université Paris-Sorbonne et à l'IEP de Paris, a mené, pour ce livre de 750 pages, quinze années de recherches dans des milliers d'ouvrages et d'archives inédites. Sur la quatrième de couverture de l'ouvrage, on peut lire ceci : "Fils de roi, neveu d'empereur, comploteur, prisonnier, proscrit, premier président de la République, dernier souverain régnant de notre histoire. Figure majeure du XIXe siècle, il en incarne l'esprit, la diversité, les contradictions : homme de réflexion et d'action, romantique et réaliste, autocrate et démocrate, autoritaire et libéral, réactionnaire et progressiste, fils de l'Église et de la Révolution, apôtre de la paix et fauteur de guerre. Complexe, il a longtemps été incompris, il suscite toujours passions et jugements contradictoires. Hugo le surnomma "Napoléon le Petit" le dépeignit comme un "nain immonde", alors que Pasteur considérait son règne comme l'un des plus glorieux de tous les temps. Qui était réellement Napoléon III ?"
Voici, à présent les extraits, tirés dans la dernière partie du livre, intitulée "En guise d'épilogue" :
"Homme du passé et du présent, Napoléon III fut aussi un homme de l'avenir. "La tête de l'empereur Napoléon ressemble à une garenne, lança un jour lord Palmerston [Premier ministre britannique de l'époque] sur le mode de la raillerie ; les idées s'y reproduisent continuellement, comme des lapins." Indéniablement, l'empereur eut beaucoup d'idées dont toutes ne furent pas bonnes, mais dont certaines firent de lui un précurseur. Il sut mieux que les autres décrypter un monde complexe, prophétiser son évolution et chercher à en maîtriser le cours. Une grande partie du fossé qui le séparait des élites s'expliquait par le fait qu'il voyait souvent trop grand, trop loin et surtout trop vite pour elles. Ses détracteurs le présentaient comme un utopiste, alors qu'il était davantage qu'eux dans le sens de l'histoire. [...]
Napoléon III subit tant d'influences diverses et conduisit des actions dans des domaines si variés qu'il a toujours été facile de façonner de lui une image complaisante aux besoins d'une cause, à partir d'un choix orienté de ses propos et de ses actes. Ainsi, les totalitarismes du XXe siècle ont souvent été comparés au bonapartisme. Même recours au chef charismatique, même quête d'un lien direct et personnel d'ordre affectif entre celui-ci et les masses, même sacralisation du peuple souverain, même rejet du parlementarisme, même recherche de l'unité nationale, même souci de moderniser l'économie et d'améliorer le sort des plus pauvres, tout en respectant les hiérarchies en place, même praxis privilégiant le fait sur la doctrine, même culte de la patrie... Mais nous voyons aussi dans le bonapartisme du troisième Napoléon et dans sa pratique du pouvoir tout autant de différences avec ces mêmes totalitarismes : le rappel constant aux principes de 1789, le refus du parti unique, l'absence de tout État policier, ne serait-ce que par le défaut des moyens et par la subversion précoce du régime par les notables, la libéralisation progressive de ce même régime, une profonde xénophilie et une sympathie réelle pour le genre humain. Des parallèles audacieux furent pourtant esquissés entre le souverain français et le Duce, voire le Führer ou le Petit Père des peuples. Au moment précis où certains peignaient Napoléon III en empereur noir, brun ou rouge, d'autres faisaient de lui le père de la sécurité collective, de la relance de la consommation, de l'État providence, ou encore de l'Europe communautaire ! Briand, Keynes, Beveridge et Monnet ! Sous le prétexte que les expériences populistes de l'Amérique latine présentèrent, plus encore que les fascismes, de réelles analogies avec le bonapartisme, au point d'être qualifiées de "néo-bonapartistes" par des politilogues et des journalistes à leurs suites, certains se permirent de voir en l'Argentin Juan Domingo Perón ou dans le Brésilien Getúlio Vargas de "nouveaux Napoléon III". Dans les familles de la droite française, le gaullisme put être présenté, avec plus de raison, comme l'héritier du bonapartisme. De fait, les convergences sont indéniables entre le bonapartisme du troisième Napoléon et le gaullisme de De Gaulle. Il est en revanche plus hasardeux de risquer un parallèle entre les vies des deux chefs d'État et le "grand" Charles ne professa jamais une admiration immodérée pour son prédécesseur.
Au jeu des comparaisons faciles, l'actuel président de la République Nicolas Sarkozy devient le nouveau Napoléon III. On relèvera certes comme l'historien britannique Sudhir Hazareesingh qu'"il est piquant de voir à quel point le discours du nouvel hôte de l'Élysée rappelle celui de Louis-Napoléon à l'aube du second Empire : on retrouve la même exaltation du thème bonapartiste du maintien de l'ordre, le même pragmatisme, accompagné du désir de dépasser les clivages politiques traditionnels, la même célébration du culte de la volonté, la même fascination pour la modernité, et surtout la même insistance sur la nécessaire reconquête d'un sentiment de fierté nationale". On ajoutera même, en vrac, une croyance en sa bonne étoile, une relation particulière au peuple français, une forme d'hyperactivité, une passion de la réforme, une volonté d'absorber tout l'exécutif au détriment des ministres, un rapport identique à la puissance dominante du moment, là l'Angleterre, ici les États-Unis, mélange de fascination, de sympathie et de volonté de dépassement, un sens certain de la formule... Tout est toujours dans tout et il n'est pas étonnant de trouver certaines similitudes à des pouvoirs forts et chez des personnalités affirmées. Là doivent s'arrêter les comparaisons. Napoléon III fut et demeure un être singulier. C'est bien par sa vie et par son oeuvre et non par des ressemblances plus ou moins pertinentes qu'il doit rester dans la mémoire collective de la nation française."
(Éric Anceau, Napoléon III. Un Saint Simon à cheval, Paris, Editions Tallandier, 2008, "En guise d'épilogue", Modernité et postérité, p.563-568)
Pour en savoir plus, lisez ce livre... A coup sûr, il vous changera de la relecture biblique des écrits de Victor Hugo et de Karl Marx, qu'il s'agisse des Châtiments, de Napoléon le petit, ou du 18 Brumaire de Louis Bonaparte...
Voila. J'en ai terminé sur ce sujet. A cette heure avancée de la nuit, il est grand-temps d'aller dormir... avec de la musique de Vangelis plein la tête... :-) Vous devriez essayer... Survoler musicalement les lumières de Los Angeles en 2019, cela vous change les idées... Détente assurée... ;-)
Amicalement, :-)
Hyarion.